Gorges vertigineuses, côtes des pirates, fleuves capricieux: de tous temps, il y a eu des passages dont la seule évocation fait frémir les voyageurs. Et bien, au milieu du 19ème siècle, la traversée de Lausanne, c’était le Cap Horn de la Suisse romande. Le gouvernement vaudois lui-même considère alors que c’est l’étape la plus difficile à franchir "dans toute l’étendue de Berne à Genève et de Paris à Milan". Et ça, ça n’est pas bon pour les affaires.
Certes, la topographie mouvementée offre des points de vue imprenables. Mais les 500 véhicules qui, en 1835, transitent chaque jour par la rue de Bourg ne sont pas tous là pour la vue.
Convaincu des "vices intolérables" de la traversée de Lausanne, l’ingénieur cantonal Adrien Pichard prend les choses en main. Le relief empêche d’appliquer les même méthodes qu’ailleurs? Celui que l’on présente comme le précurseur du baron Haussmann propose une solution originale: "enceindre la ville d’une espèce de boulevard dont les pentes soient douces et le développement spacieux", hors des murs.
Cette ceinture prévoit la construction d’un pont pour enjamber le Flon, de Saint-François à Bel-Air. 25 mètres de haut, pour 175 de long, sur deux niveaux, avec 19 arches supérieures et 6 inférieures: le pont Pichard, qui sera vite renommé Grand-Pont, est ouvert au trafic en 1844. Ensuite, tout s’enchaîne.
A l’ouest, la ville s’arrête à la place Chauderon. C’est là que se tient le marché des chevaux, du foin et de la paille. De la campagne, on y arrive par l’avenue de France. Mais l’ouverture du Grand-pont et le trafic qu’elle génère entraînent le réaménagement de l’avenue d’Echallens dès 1845. Trente ans plus tard, elle accueillera aussi les rails de la "brouette", le train Lausanne-Echallens-Bercher, qui terrorise aujourd’hui encore ses habitants.
A la même époque, en 1874, le Grand-Pont perd son étage inférieur dans le comblement du Flon. Depuis la grande épidémie de choléra de 1832, la ville a entrepris de canaliser et d’enfouir progressivement ses rivières. Toujours aux prises avec sa topographie, Lausanne veut profiter de l’opération pour dégager une grande surface plane à vocation industrielle: l’actuel quartier du Flon. La servitude de vue des bâtiments construits depuis entre le Grand-Pont et Montbenon, leurs toits plats, offrent à Lausanne l’illusion d’horizontalité.
De l’autre côté, à l’est, c’est l’inauguration de la gare ferroviaire, en 1856, qui fait bouger les choses. Elle se trouve en rase campagne, à près de 500 mètres au sud de la ville. Pour y accéder, les routes existantes sont difficilement praticables, voire même dangereuses, à cause de la pente. Quand on part prendre l’Orient-Express, c’est dommage de rester en rade à Georgette. On décide alors de construire de grands boulevards bordés d’arbres pour relier la gare à Saint-François. Cela donnera notamment naissance à l’avenue du Théâtre, achevée en 1867.
En 1873, premier tronçon de l’avenue de Rumine, en symétrie. Elle est entourées de terrains rares à Lausanne puisque planes, et tout de suite prisée des hautes sphères de la société. En 1889, l’avenue de Rumine rejoint l’avenue du Léman: on est à bout touchant.
Dès 1896, les tramways traversent la ville d’est en ouest en passant par Saint-François. Encore aujourd’hui, c’est un des axes les plus empruntés: la ligne 9 qui le dessert est une des seules à encore utiliser les anciens modèles de trolleybus parce qu’ils permettent de transporter plus de gens.