Notre balade commence au parc de Valency, sur un fragment de campagne rescapée. Cette campagne, où les riches Lausannoises et Lausannois venaient passer leur été jusqu’au tournant du xxe siècle. Si cette parcelle a échappé au bitume, c’est grâce à une pétition des habitantes et habitants du quartier, datant de 1906, qui réclamaient qu’on leur laisse un peu d’espace et de verdure. La Ville l’a rachetée et en a fait un parc public à la fin des années 1930. Peu de temps après, pendant la Seconde Guerre mondiale, la terre est retournée momentanément à sa fonction nourricière, puisque le parc a été transformé en champ de patates dans le cadre du Plan Wahlen.
Sous nos pieds ondule une étendue de pleine terre, rare en ville. Pourtant, avec sa topographie née de multiples terrassements, le sol de Valency, sa structure, n’a plus grand chose de naturel. A quoi peut bien ressembler la pleine terre urbaine ? C’est à cette interrogation que répond L'Incise (1), en taillant dans la pente pour dévoiler ses dessous. Un chemin nous emmène dans les strates invisibles du parc.
Tout autour de nous, les grands arbres sont les étendards de la pleine terre, qui leur donne l’élan et la liberté nécessaire pour s’épanouir. A Valency, ils portent haut les couleurs de ce précieux sous-sol. Un peu plus à l’ouest du parc, Cambium (2) nous convie dans leur intimité. L’installation propose un havre de cohabitation — une sorte de sas de décompression — entre deux grands arbres et les humains, qui font un usage intensif de cette poche de nature.
Centre de quartier, où les citadines et citadins se ressourcent et nouent des liens, le parc ne désemplit pas : molosses galopants, enfants sablonneux, hilares et même dégoulinants, lorsqu’ils émer- gent de la piscine locale (et gratuite !), vieux sages dodelinants, les mains croisées dans le dos, au rythme de la passegiata... Au cœur du bosquet central, on tombe parfois sur les vestiges d’un campement. Quel esprit urbain, quel nymphe des villes séjourne ici ? La même qui a monté les balançoires qui se déhanchent un peu plus haut ? Sous l’alignement des tilleuls, agencés à la française, Bal-ysage (3) offre un point de vue mobile et ludique sur le lac et les montagnes.
On quitte ensuite le parc, par le nord-est. De l’autre côté de la rue, devant l’Hôpital de l’enfance, on peut apercevoir la première fresque de Place to live (4) et la fillette qui jardinera les murs tout au long du parcours.
En remontant le chemin de Montétan, on accède au petit parc du même nom. Inauguré en 1931, c’est en quelque sorte l’ancêtre du parc de Valency. La ville avait racheté la parcelle à l’Hospice de l’en- fance, à la suite de la pétition de 1906. Mais elle n’avait pas suffi à étancher la soif de verdure des habitantes et habitants de l’ouest, qui trouvaient le parc trop petit et étaient vite revenus à la charge. Derrière les arcades de charmes proprettes, se love un espace étrange, un peu laissé pour compte, où les herbes pro tent du calme pour grignoter le gravier. Mais cette fois, elles ont visiblement trop mangé. Micro Macro (5) nous invite dans une autre dimension, celle du peuple de l’herbe.
Pour regagner notre espace-temps habituel et continuer la balade, il faut s’extraire du labyrinthe par le haut, et emprunter le chemin de terre qui se glisse derrière les grands arbres, en bordure du parc. Mais se serait-on trompé d’issue ? Ça arrive nalement assez souvent aux voyageuses et voyageurs spatio-temporels. Une erreur d’aiguillage, qui nous aurait téléporté sur un sentier de forêt touffu et mousseux. Ce n’est qu’en poussant plus loin, derrière le premier virage, qu’on retrouve l’univers lausannois. Encore qu’en longeant les arrière-cours des immeubles de l’avenue d’Echallens, leurs passerelles improbables, leurs vieux ateliers et leurs vestiges d’écuries, on peut se demander à quel siècle on a atterri. Et la végétation joyeusement anarchique qui accompagne le chemin ne rappelle en rien l’ordre urbain.
On finit tout de même par déboucher sur le bitume de l’ave-nue Glayre et par descendre jusqu’à l’encore plus bitumineuse avenue d’Echallens. Direction plein est.
Rails, trafic, façades en enfilade... Sur la rive nord de la rue, un ancien garage, avec son gabarit trapu, rompt avec la physionomie des autres bâtiments. Juste après, on s’engouffre dans une dent creuse. Unique parcelle non bâtie de ce côté-ci de la chaussée, cet interstice encore libre est plus précieux qu’il n’en a l’air. On imagine un peu de vert, un lieu où se retrouver et regarder passer la rue, mais ce sont les voitures stationnées qui occupent le sol. Reste le mur de soutènement de l’église Saint-Paul, un des plus costauds de Lausanne, survivant de l’époque où des vignes étaient cultivées sur ce coteau. C’est le seul espace de conquête disponible pour un jar- din pionnier et vertical. Nature vivante (6) s’en empare pour nous conter l’envers du décor : un tableau en mouvement, qui dépeint les transformations de la terre contenue derrière la pierre.
De retour sur l’avenue d’Echallens, il faut traverser le ux automobile pour longer le trottoir sud, jusqu’à l’endroit où le LEB — le train Lausanne-Echallens-Bercher — plonge dans les entrailles de la terre. Juste avant, sur la droite, une placette un peu irréelle, bordée de charmilles. L’endroit a quelque chose de trop rigide pour être hon- nêtement végétal. Et pourtant, c’est ce bosquet miniature de la forêt des clochettes que les animaux sauvages de Bestial ! (7) ont choisi de réinvestir. Peut-être parce que, si artificiel soit-il, ce lieu n’en est pas moins un abri permanent pour la biodiversité, un îlot qui abrite et fabrique de la vie au milieu du béton.
On peut s’en rendre compte lorsqu’il n’y a pas d’herbe, en essayant de compter les nombreux turricules — ces petites sculptures en déjections de ver de terre — qui parsèment le pseudo sous-bois. Les lombrics sont essentiels à la régénération du sol. Leurs galeries facilitent la circulation de l’air et de l’eau. Grâce à leurs incessant allers-retours vers les profondeurs, ils brassent la terre, mélangent la matière organique, issue de l’humus de surface, et la matière minérale, venue de la roche mère. Cette alliance organo-minérale fait l’inestimable valeur du sol : elle lui donne toutes ses propriétés, comme sa stabilité structurelle, ou sa capacité à retenir l’eau et les éléments nutritifs. C’est ce qui vaut au ver de terre le titre « d’ingénieur du sol ». Mais on pourrait ajouter architecte, alchimiste et aussi sculpteur, à ses heures.
La balade se poursuit toujours vers l’est, par la rampe qui descend à droite de la forêt des Clochettes et permet de mieux pro- ter de sa faune archaïque et imaginaire.
On remonte ensuite vers l’avenue d’Echallens. Il faut la retraverser pour gravir l’escalier qui nous permet, pour une fois, d’accéder au curieux balcon en porte-à-faux qui surplombe la rue. C’est ici que se cache le jardin semi-public de l’Asile des aveugles — créé en 1843 et aujourd’hui appelé Hôpital Jules-Gonin. Ici, à la pause de midi, on parle décollement de rétine, en regardant le lac et les travaux d’en- sevelissement du LEB. Là, en face, on remue la terre par 42 mètres de fond, pour évacuer les matériaux d’excavation du tunnel où se faufilera le train dès la fin 2020.
Çà et là, des souches émergent, prêtes à accueillir le séant du contemplatif. L’une d’entre elle est particulièrement large, c’est une relique du grand hêtre abattu en décembre 2014. Paix à son âme. Trop âgé, trop faible, trop instable, l’ancêtre souffrait d’un dédoublement de la personnalité au niveau du tronc, aggravé par des problèmes génétiques. Les vieux arbres en ville doivent-ils être mis aux soins palliatifs ou remplacés dès que possible ? Vanitas (8) rend hommage à ces souches vénérables et à leur rôle pour la biodiversité avec son mausolée au bois mort.
On remonte ensuite le chemin en zigzag et on sort de la cour de l’hôpital, en passant devant la Banque des yeux.
L’avenue de France nous fait redescendre doucement vers la tour Galfetti et la place Chauderon. Hors de l’enceinte historique de la ville, la zone n’a longtemps été occupée que par des vignes et des champs. Plus tard, à la suite de l’installation d’un poids public pour peser notamment les animaux, elle est devenue un lieu de commerce important. Dès 1850, la place abritait un marché aux chevaux et au foin. Jusqu’à ce que la gare du LEB ne déloge les morts, on y trouvait aussi un cimetière. À l’emplacement de la tour, avant sa construction en 1992, débouchait une impasse où se nichait un marchand de graines. Mais aujourd’hui, le lieu semble avoir perdu tout lien avec la terre.
Typique de l’école tessinoise « Tendenza », l’édifice est sorti de l’imagination des architectes Aurelio Galfetti et Mario Botta. La cour intérieure circulaire, sombre et peu accueillante, n’offre aucun autre paysage qu’elle-même. Béton, pierre, verre. Colonnades, garde-corps, coursives. Pastille de ciel. C’est au mieux un lieu de passage, parfois de trafic, même si, de manière inattendue, un peu d’animation rejaillit en sous-sol, avec le club No Name/Chauderon 18. Cousin végétal de la boule à facette, Kokedamas (9) et son lustre luxuriant cherchent à détendre l’atmosphère de ce silo minéral : à mettre un peu de vert, de terre et de vie, dans la dureté d’une époque qui semble désormais révolue.
On traverse ensuite le trafic pour se diriger vers le côté sud de la place et le grand bâtiment administratif, qui miroite de toutes ses fenêtres vintage. Au bout de la passerelle qui s’avance vers lui, le toboggan de Vert de terre (10) nous invite à nous glisser un instant dans la peau d’un lombric. Juste à côté, 9m3 (11) et son jeune platane en pot questionnent l’espace restreint attribué aujourd’hui aux arbres en ville.
La promenade revient ensuite sur ses pas, mais à l’étage du dessous, pour prendre le passage souterrain et retraverser la place Chauderon. Des fraisiers, du serpolet, du muguet et autres millepertuis en mosaïque colorée réchauffent un peu l’endroit, tandis que le marbre sombre et géométrique de la gare du LEB rappelle vague- ment la tour Galfetti. En plongeant le regard dans les escalators, on se rend compte qu’on a beau être sous le niveau du sol, la terre, la vraie, est encore loin.
Au bout du tunnel, on regagne la surface par la rampe de droite et on tombe sur l’ancêtre du jeune arbre de 9m3 (11) : un platane centenaire qui a grandi sans entraves, au point de devenir majestueux.
Pour pénétrer dans le labyrinthe des Terreaux, il faut passer sous le ventre de l’immeuble d’en face. Drôle de mélange d’époques, dans ce dédale qui mène à la galerie Humus. Le mot « terreaux » vient de « remblais », parce qu’on est ici au pied des anciennes forti cations de la ville, longées par un fossé et un sentier. Au fil du temps, l’espace s’est rempli, rétréci, enchevêtré. Des décennies d’interventions se sont stratifiées. L’encombrement est une plaie qui ronge l’espace public et Terreau Incognito (12), avec son irruption de verdure, tente d’apaiser cette forme aigüe d’aménagement extérieur.
Et — qui sait ? — d’amener peut-être aussi un peu de fraîcheur. Parce que la surabondance de béton emmagasine la chaleur de l’été. La terre, elle, absorbe l’eau comme une éponge et la rend sous forme de vapeur, contre un peu d’énergie thermique. Un échange qui permet de faire baisser la température. Il n’y a d’ailleurs pas que l’asphalte qui retient la chaleur : le bâti aussi, d’où un intérêt croissant pour la végétalisation verticale — comme celle proposée par Nature vivante (6), sur le mur de soutènement de Saint-Paul. Une solution actuellement plus facile à appliquer que de labourer le béton pour retourner à la pleine terre.
La balade se poursuit par le passage au nord de l’église des Terreaux, sous l’immeuble rose. On prend à droite sur la rue de l’Ale, jusqu’à la rue Mauborget. De là, on redescend tout droit sur la tour Bel-Air, premier gratte-ciel de Suisse inauguré en 1932.
Il faut ensuite traverser la route pour prendre la route de Bel-Air, qui longe les arches du Grand-Pont par le côté sud. Sur notre gauche, la fillette de Place to live (4) a trouvé une nouvelle plante interstitielle à élever. A droite, les arbres fantomatiques du Verger de la paix (13) s’accrochent aux grilles de ventilation du LEB et les assises tout autour offrent au visiteur l’occasion d’une pause bien méritée.
De là, on peut admirer l’ouvrage qui relie Bel-Air à Saint-François. Il s’est d’abord appelé pont Pichard, du nom d’Adrien Pichard, l’ingénieur cantonal visionnaire qui, au milieu du xixe siècle, a entrepris de simplifier la traversée de Lausanne. Ouvert au trafic en 1844, il faisait 25 mètres de haut pour 175 mètres de long, sur deux niveaux, avec 19 arches supérieures et 6 arches inférieures. Franchissant le Flon, il enjambait la basse-ville industrieuse, tirait un trait d’union entre gens bien nés du haut. L’étage inférieur a été enterré en 1874 lors du comblement du Flon, ramenant la hauteur à 13 mètres.
Le pont signe la victoire de l’ingénierie sur la nature, de l’ordre construit sur la topographie naturelle et chaotique. La ville maîtrise son territoire, le contraint à ses besoins — passer, traverser, échanger — quitte à enterrer ses rivières et s’affranchir de son sol.
Mais s’affranchir de son sol a un coût. On se prive de ses capacités, et notamment celle de laisser l’eau de pluie s’infiltrer, ce qui limite grandement le risque d’inondation. Et les torrents qui se sont déversés à la rue Centrale, sous le Grand-Pont, et ailleurs dans Lausanne le 18 juin 2018, illustrent à quel point le sol de la ville est devenu imperméable.
Quoi qu’il en soit, le pont a changé la structure de la capitale vaudoise. C’est lui qui est à l’origine du développement d’un axe est-ouest fort, hors murs : l’axe de notre parcours. Aujourd’hui encore très utilisé, le pont devrait être fermé au trafic automobile pour ne laisser passer plus que les piétons, les vélos et les bus dès 2022.
Hors-sol, suspendu, le jardin peut-il trouver sa place dans ce nouvel ordre urbain? C’est ce fantasme qu’explore Un Jardin sur un pont, un pont sur un jardin (14), avec ses illusions d’optique, sur le trottoir nord du Grand-Pont. Pour aller voir ça de plus près, il faut remonter par les escaliers ou l’ascenseur de la place de l’Europe, revenir en arrière par la passerelle et traverser la route.
Une fois sorti des vallons imaginaires, on poursuit jusqu’à Saint-François et on s’apprête à traverser vers le sud de la place. C’est là que le geyser incongru de L’Eau et vous (15) vient nous rappeler la présence de l’élément liquide dans le sous-sol.
La promenade entame ensuite à peine le Petit-Chêne, avant de faire demi-tour pour s’engouffrer dans le tunnel ouest de Saint- François. Comme le clame son fronton, le souterrain a été construit en 1980, au moment où le nord de la place est devenu piéton, et c’est un peu comme s’il était resté gé dans cette époque. Le linoléum, en tout cas, ne renie rien. Le Passage végétal (16) s’inspire du marrube, une plante médicinale qui pousse naturellement à Saint-Fran- çois et a investi pour l’occasion les bacs qui surplombent le tunnel, pour transformer ce lieu en déshérence en pavillon où prendre le frais durant l’été.
En remontant de l’autre côté, on débouche devant l’église Saint-François, bâtie entre 1270 et 1275 par des moines franciscains. Depuis, elle a été plusieurs fois reconstruite, notamment après le grand incendie de 1368. Le temps de Lausanne Jardins, elle se fait atelier, pour les bactéries de Futur Âge de pierre (17) qui sculptent le sol.
À la sortie de l’église, on est frappé par les huit grands platanes, aussi hauts que les immeubles alentours. Des milliers de mètres carrés de feuilles et d’écorce, qui semblent former une canopée, unitaire et éternelle, indifférente à la pollution. Au sol, des pieds d’arbres réduits au minimum, cernés de pavés. Mais que se passe- t-il en dessous ? Les activités souterraines entre arbres d’une même espèce sont connues : échanges de bons procédés, partage d’immunité, effets de solidarité. Des flux complexes transitent d’un sujet à l’autre, souvent par l’intermédiaire de champignons, parfois par des canaux directs, construits par les arbres eux-mêmes. Un réseau intense, dont la partie émergée ne donne finalement qu’un reflet très simplié.
Ce réseau est toutefois en concurrence avec beaucoup d’autres : l’eau, l’électricité, les communications... À la nuit venue, le Portrait d’un arbre (18) se projette comme un fantôme, au seul endroit de la place où il y aurait encore assez d’espace, en sous-sol, pour accueillir un neuvième platane.
On se dirige ensuite vers l’extrême est de la place, pour traverser et retourner côté sud. La Renaissance du peuplier (19) nous raconte comment un autre arbre a trouvé dans son voisinage proche une nouvelle raison de vivre.
La balade se poursuit sur le même trottoir en direction du Capitole, le plus grand cinéma de Suisse, ouvert en 1928, et qui est désormais l’antre de la Cinémathèque suisse. En face, sur le mur de la promenade de Derrière-Bourg, la fillette de Place to live (4) s’est entichée d’une nouvelle plante rebelle.
Juste après le cinéma se trouvait une ancienne campagne qui a, pour un temps, acquis le statut de forêt vierge. C’était au début des années 70, après la démolition de la villa de la famille des photographes De Jongh, à qui le terrain a longtemps appartenu. Dédiée à Jean Villard-Gilles à sa mort en 1982, la parcelle était devenue un parc public deux ans auparavant, avec notamment la construction du petit amphithéâtre situé tout en haut. Cet été, ce dernier accueille, exceptionnellement, une représentation permanente de La Grande Pimprenelle (20). Une comédie florale, où 1200 tiges loquaces se partagent la scène.
On se laisse couler le long de la promenade, qui serpente comme la Venoge chère au poète jusqu’à la rue du Midi, avant de bifurquer à gauche pour rejoindre l’avenue Georgette et de remonter sur le carrefour du même nom. Ce nom vient de « petite gorge », dernière trace de l’époque où coulait ici un ruisseau.
A défaut d’eau, on traverse le flot de voitures pour prendre l’avenue de Rumine. Pas pour longtemps. Avec un peu de chance, passée la première maison, on peut déjà apercevoir Le Point (22a), premier signe annonciateur du prochain site : une voile rouge, voltigeant dans les airs à intervalles réguliers, au gré d’une ventilation souter- raine. Ce site, c’est le jardin perché sur le toit du parking de Bellefontaine mais, avant d’y grimper, il faut faire un petit détour par la caisse. Les Racines (21 b) qui transpercent le plafond illustrent la difficulté pour la végétation de vivre aussi loin du sol.
On emprunte ensuite la rampe qui monte jusque sur la terrasse. Là-haut, un jardin oublié ou presque, qui s’est assoupi dans les années 60-70, comme une princesse de conte, et que les étudiantes et étudiants de l’HEPIA (Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève) et de l’ECAL (Ecole cantonale d’art de Lausanne) ont entrepris de réveiller. Inversion (21a) propose un jeu de rôle échangiste, où les plantes prennent la place dévolue aux humains. Tandis qu’Entrance (22c) donne une profondeur inattendue à ce jardin en pot. De nuit, The Nocturnal Garden (22b) et ses luminaires inventent une nouvelle mise en scène pour la terrasse de Bellefontaine.
On redescend par l’est du parking et remonte jusqu’à l’avenue de Rumine, qu’on traverse pour suivre son trottoir nord et ses front gardens. Ces bandes herbeuses, de tradition anglo-saxonne, qui marquent la fin de la ville-centre et le début de la ville résidentielle. Une version plus légère de la barricade en thuyas des cultures latines. On n’y prend pas l’apéro, on n’y cultive pas ses tomates, mais elles jouent parfaitement leur rôle de tampon entre l’espace public et privé. Et la banalité de ces carré verts n’est qu’une apparence : Réveiller les gardiens de la terre endormis (23) nous laisse imaginer tout ce qui peut sortir de ces puits de terre.
La promenade retraverse ensuite l’avenue de Rumine, pour tourner sur le chemin de Trabandan, qui débouche sur le préau de Messidor — du nom du mois de juillet, celui des moissons, dans le calendrier révolutionnaire. C’est la famille André, de Nyon, devenue un des plus grands groupes au monde de commerce de graines et de céréales, qui a fait construire son siège ici par Jean Tschumy en 1959, et qui a offert le square à la ville, à condition qu’on lui donne ce nom symbolique.
A droite en entrant, on trouve une butte de permaculture (C) installée par le SPADOM (Service des parcs et domaines de la Ville de Lausanne) avec les enfants du collège de l’Eglantine, dans une démarche participative, comme plusieurs autres jardins en marge de la manifestation (A, B, D). Tandis qu’au-dessus de nos têtes, le Parc de l’Amour éternel (24) propose une solution élégante pour économiser le sol.
Il faut ensuite reprendre l’avenue de Rumine jusqu’à la promenade Jean-Jacques Mercier. Là-bas nous attend une surprise de taille : Une Visite à la famille Mercier (25) montre l’impact qu’aurait eu la demeure qui devait se construire à cet endroit à la fin du XIXe siècle. A la suite d’une pétition des habitantes et habitants attachés à la vue, le terrain, longtemps occupé par des vignes, devient un parc tout en symétrie, des escaliers au cheminement en zig-zag en passant, à l’époque, par les arbres. La promenade en abrite 350 espèces différentes — dont l’arbre aux cornichons, celui aux mouchoirs ou encore aux caramels. Mais malgré sa situation et sa végétation, le lieu reste peu animé, anormalement amorphe. Avec sa combinaison de machines poétiques, Pranvera (26) vient secouer ce décor engourdi. En déambulant dans le parc, les visiteuses et visiteurs découvrent un théâtre où se joue un mélange de mythes anciens et de rituels de la nature.
Pour sortir de la pièce, il faut emprunter la petite rampe, tout à l’est du parc, qui monte sur le balcon de la paroisse Saint-Jacques et déguster le panorama alpin et lacustre. A l’étage du dessus, sur le parvis de l’église, les voitures du Ciné-parc de la terre (27) finissent de digérer le jardin dont elles ont pris la place, en profitant de la vue.
On se laisse ensuite entrainer toujours plus à l’est par la pente de l’avenue du Léman. En descendant, on croise encore deux fois la petite jardinière attentive de Place to live (4d et 4e), celle qui soigne les marges et les interstices.
Juste avant le double rond-point de La Perraudettaz, on traverse, passe sous les voies et tourne à droite pour aller chercher le tube auditif d’Echappement fluvial (28), qui rappelle la Vuachère à notre bon souvenir. Des hauts de Lausanne au Léman, le torrent dévale 315 mètres de dénivelé sur 8 kilomètres. A l’échelle territoriale, son vallon se lit comme une artère verte et bleue, une saignée nette. Pourtant au quotidien, des milliers de passantes, de passants et d’automobilistes le traversent en quelques secondes, sans même le voir. Enfouie, cachée, niée, la Vuachère coule sous la route, au fond d’un ravin, soustraite à la ville dont elle marque pourtant la frontière orientale. En repassant sous les rails, de l’autre côté de la chaussée, un deuxième tube nous offre une nouvelle possibilité de contemplation sonore, pour redécouvrir la rivière.
De terre à terre, notre périple touche à sa fin. En prenant l’avenue Guillemin, à gauche au deuxième rond-point, on rejoint le parc du même nom par le haut. L’ancienne campagne de La Peraudettaz comprenait une maison de maître et des dépendances qui existent toujours. Elle a notamment accueilli, à la fin du XVIIIe siècle, un jeune héros de l’indépendance vaudoise, Samson Reymondin, arrêté et emprisonné à plusieurs reprises. Lorsque qu’Etienne Guillemin a acheté la propriété en 1851, elle faisait encore 23 000 m2. Ses des- cendants ont donné le parc à la commune de Pully en 1944.
Comme son pendant lausannois de Valency, il est très fréquenté, et pas uniquement par des êtres humains. Il y a les biches dans le parc animalier, mais aussi des renards, des oiseaux, des hérissons et des écureuils dans le cordon boisé, des papillons et des insectes dans la prairie, des vers de terre, des taupes et des mille-pattes en sous-sol. Du monde à tous les étages. Le retour de la vie sauvage en ville est un indicateur fiable de la bonne santé des écosystèmes urbains. C’est également un premier pas vers la reconnexion de la ville avec la nature. Mais quelle est la place de la faune en ville ?
Le Monument des petits animaux (29) — une structure moulée à partir de tunnels de taupinières — nous donne en tout cas un aperçu du monde parallèle qui court sous nos pieds. Et dans le talus en contrebas, Le Cadran solaire de la taupe (30) nous révèle les horaires qui rythment ce monde, si proche et si étranger à la fois.
La balade est terminée. En descendant le sentier jusqu’à l’avenue du Lavaux, on arrive tout près de l’arrêt Montillier de la ligne de bus n° 9. Si vous le prenez pour regagner le béton ferme du centre, vous tomberez peut-être sur le Végibus (31), la serre figurative et mobile pour végétaux pendulaires, qui parcourt inlassablement le tracé de Lausanne Jardins 2019.
Pour vous accompagner au fil de la balade, avec le descriptif du parcours et de tous les jardins, vous pouvez vous procurer notre carnet de route.