On ne connaît notre terre que superficiellement, mais elle ne nous en tient pas rigueur. De ses entrailles, elle veille sur nous comme une mère. Non contente de nous offrir le gîte et le couvert, elle régule le ruissellement des eaux, climatise l’atmosphère et défend la biodiversité grouillante. Qu’en est-il en ville, lorsque cette terre se fait rare? Et quel rôle jouent les flaques de terre disséminées dans le centre? Lausanne Jardins, qui consacre sa sixième édition à la pleine terre, a voulu en avoir le coeur net et a mené une analyse pédologique – quantitative et qualitative - du sol de 11 sites d’intérêt, dispersés sur le parcours de la manifestation.
L’absorption, d’abord. Les derniers espaces urbains qui n’ont pas été imperméabilisés sont des éponges. En stockant les eaux de pluies, ils nous protègent contre les inondations. Bien sûr, ce sont les parcs qui remplissent le mieux cette fonction : un site comme celui de Valency est capable de retenir près de trois piscines olympiques à lui tout seul. Mais même des bacs ornementaux peu profonds, comme ceux qui entourent le bâtiment administratif de Chauderon, jouent un rôle non négligeable. Ils sont, par exemple, largement capables d'absorber les 41 litres par mètre carré qui se sont abattus en dix minutes sur Lausanne, le 11 juin 2018, provoquant des inondations un peu partout sur le bitume alentour.
La climatisation, ensuite. Une partie de cette l'eau stockée par la terre s'évapore quand il fait chaud, ce qui rafraîchit l'air ambiant. L'énergie nécessaire à cette évaporation se soustrait à la chaleur accumulée et permet de lutter contre le phénomène des îlots de chaleur urbains. L'analyse montre que les sols du parcours de Lausanne Jardins ont un effet rafraichissant assez élevé. Et là encore, il ne faut pas sous-estimer l'effet de petit espaces verts. Une surface comme le Frontgarden de l’avenue de Rumine - sorte de version améliorée de la plate-bande - emmagasine l'équivalent de la consommation annuelle d'énergie de neuf ménages.
Enfin, la pleine terre est aussi un réservoir de biodiversité. Les sols abritent près d'un quart de la totalité des espèces vivantes, dont une partie reste inconnue. Mais le poids lourd de cette masse grouillante, c'est le ver de terre, par ailleurs essentiel à la régénération des sols. D'où l'intérêt de faire un inventaire des lombrics sur les sites de Lausanne Jardins , en guise d'indicateur de la biodiversité locale. Et les résultats sont étonnamment bons : la densité d'individus dans les 9 sites lausannois analysés est plus de trois fois supérieure à celle des plateaux agricoles suisses. D'après les calculs, le parc de Valency accueille ainsi 1,7 tonne de vers de terre. Mais le site qui a les plus de succès auprès des lombrics lausannois est la « forêt des Clochettes », langue de terre un peu oubliée, sous une haie de charmille, à l'avenue d'Echallens, avec une densité de 883 lombrics par mètre carré ! Probablement grâce à la texture du sol et à la paix royale qui y règne. Un constat réjouissant, d'autant que le ver de terre est aussi un maillon indispensable de la chaîne alimentaire. Il figure au menu du hérisson, de la taupe, du blaireau, de la musaraigne, du renard roux et de la plupart des oiseaux urbains.
Ces mesures permettent de quantifier la contribution de certains sols lausannois à la résilience du territoire, aux aléas climatiques et à la perte de biodiversité. Les services rendus vont toutefois bien au-delà de cette analyse. La terre purifie aussi l'eau de pluie avant qu'elle ne rejoigne la nappe phréatique. Elle filtre l'air, en fixant les polluants atmosphériques et les particules fines – une fonction appréciable pour lutter contre l’augmentation des affections respiratoire dues aux gaz d'échappement. À une échelle plus large, les sols urbains interviennent également dans la régulation du climat global à travers leur capacité à stocker du carbone. Et sur le plan social, la pleine terre en ville reste un moyen de conserver un lien avec la nature, en permettant à tout un chacun de planter, jardiner et récolter les fruits de son travail.
Etude pédologique, Lausanne Jardins 2019, réalisée par Yannick Poyat, Planisol Contacts:
- Yannick Poyat, fondateur du bureau d'études agro-pédologiques Planisol, 077 983 27 14
- Monique Keller, commissaire de Lausanne Jardins, 079 412 73 64