lausanne jardins 2019

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Le sol des villes, une ressource inestimable

Dans une interview pour espazium.ch, Monique Keller, la commissaire de Lausanne jardins 2019, revient sur le thème et le parcours de la sixième édition de la manifestation paysagère.

Propos recueillis par Cedric van der Poel

espazium.ch: Le thème de la manifestation Lausanne Jardins 2019 prend le contre-pied de celle de 2014. Alors que cette dernière s’est intéressée à la manière dont le monde végétal peut prendre place hors des schémas classiques (square, place etc …) dans des lieux déjà construits et bétonnés, Lausanne Jardins 2019 choisit la pleine terre. Pourquoi ce thème?

Monique Keller: Nous avons choisi le thème de la pleine terre, parce que c’est un sujet qui nous préoccupe. Ceci dit, ce n’est pas l’idée de prendre le contre-pied de la dernière manifestation, mais de travailler d’une manière contextuelle, de faire émerger des jardins qui répondent à une problématique bien spécifique au lieu. Le jardin ne sera pas forcément transposable, mais la réponse aura certainement un caractère universel. D’ailleurs la question de la pleine terre ne nous empêche pas d’aller explorer, comme en 2014, des sites hors-sol, par contraste avec la pleine terre, comme des murs, des cours asphaltées, des souterrains, des belvédère en porte-à-faux ou même des clôtures.

Vous avez accompagné cette édition d’un manifeste sur la pleine terre. Pensez-vous que cette dernière soit de plus en plus menacée dans les villes?

Avec la densification des villes – qui en soi est une bonne chose en ce qu’elle lutte contre le mitage du territoire et préserve notamment les sols cultivables et libres – nous assistons à la disparition du «vrai» sol dans les villes. Ce phénomène est irréversible. Or le sol, fertile et vivant, est une ressource non renouvelable à l’échelle humaine, puisqu’il a besoin de plusieurs centaines d’années pour se former. Pour faire pousser de grands arbres, on a besoin de pleine terre, de manière à ce que les arbres puissent s’ancrer, se nourrir et croître dans de bonnes conditions. Mais les arbres ne sont pas seuls dans les sous-sols urbains, les réseaux leur livre notamment une concurrence féroce. Et pourtant, ils sont indispensables à la qualité de vie en ville: cet été, on a pu observer de pénibles îlots de chaleur dans certains quartiers très minéralisés, à Genève comme à Lausanne. On le sait, les arbres sont un excellent moyen de lutte contre ce genre de phénomène qui risque de s’accroître avec le réchauffement climatique. L’imperméabilisation des sols pose aussi la question de l’eau: elle entrave la régénération des nappes phréatiques, tandis que de plus en plus de villes luttent contre les inondations, faute d’avoir réservé assez de surfaces perméables. On comprend qu’il y a un véritable enjeu pour les villes à se soucier de leurs sols comme d’une ressource de très haute valeur.

Le parcours s’étend le long de la ligne de bus 9, de Prilly à Pully et donc le long de certains grands projets des Axes forts du projet d’Agglomération Lausanne-Morges, notamment l’enterrement des voies du LEB et la fermeture du Grand-Pont de Lausanne au trafic automobile. Est-ce un choix politique?

Oui c’est un choix politique, mais aussi topographique (nous sommes sur une ligne de crête relativement plate et donc confortable à parcourir), paysager (de rivière à rivière, de campagnes à campagne), et de mobilité douce (le long la ligne de bus). Quant à l’aspect politique, nous avons trouvé intéressant de thématiser les grands changements à venir avec les Axes forts. Lausanne Jardins s’est, dès la première édition, donné comme vocation d’accompagner les grandes transformations de cette ville. C’est aussi une façon de poser un regard différent sur ces chantiers et d’offrir une autre lecture du territoire qu’on croit connaître.

Vous avez lancé l’appel à candidature dernièrement. Pourquoi ne pas avoir osé le concours ouvert sans présélection?

C’est une bonne question! Pour tout vous dire, nous nous sommes inscrits dans la continuité de ce qui se fait depuis le début, à savoir les cinq éditions précédentes. Le concours ouvert suppose une organisation capable d’analyser plusieurs centaines de dossiers (385 candidatures en 2014), or nous sommes une petite équipe, à temps partiel. Pour cette édition, nous avons déjà enregistré plus de 1700 téléchargements sur notre site et sur la plateforme professionnelle Simap.

En tant que nouvelle commissaire, vous avez repris la formule des anciennes éditions, à savoir que chaque équipe sélectionnée pour la manifestation bénéficiera d’une enveloppe restreinte et contraignante de 30'000 CHF (dont 6'000 CHF d’honoraires) pour la réalisation de leur jardin. N’avez-vous pas été tentée d’augmenter l’enveloppe?

La tentation d’augmenter l’enveloppe était évidemment là. Le problème, c’est que les fonds à disposition, eux n’augmentent pas vraiment d’une édition à l’autre. Nous comptons bien sûr sur les sponsors et institutions qui sont preneurs du sens que peut donner une telle manifestation à leur activité. Ceci dit, rien n’empêche les concurrents de trouver des solutions de financement complémentaire de leur côté. Pour avoir été commissaire de Genève, villes et champs, une manifestation sœur de Lausanne Jardins qui a eu lieu en 2014, je peux vous assurer que les projets les plus réussis et spectaculaires n’étaient pas les plus chers. Ceci dit, si un projet se révèle particulièrement puissant dans son évocation du thème mais dépasserait l’enveloppe allouée, on fera tout pour trouver une solution.

Dans la présentation de Lausanne Jardins 2019, vous dites vouloir insister sur la réappropriation de l’espace public, et sur le rôle du jardin dans la fabrique de la ville. Quels sont les outils de médiations prévus pour dévoiler les processus de création et pour faire vivre la manifestation tout au long de son existence?

Nous voulons que les jardins parlent d’eux-mêmes, jusqu’à un certain point. Et que les candidats sélectionnés nous proposent des nouvelles manières de vivre l’espace public. L’idée étant de créer pour cette édition des jardins-événements plutôt que des jardins-objets, des jardins dans lesquels il se passe quelque chose. Pour Genève, Villes et Champs, nous avions insisté sur cette dimension d’animation et le résultat avait été très probant: la médiation s’est faite à travers des ateliers avec les écoles primaires, des soirées festives, des dégustations de spiruline et de bière brassée dans un champ d’orge, des légumes à cueillir soi-même, des débats, un jeu de croquet géant, etc. A Lausanne Jardins 2019, en plus des propositions des candidats, nous allons nous-mêmes organiser une série d’événements, seuls ou en collaboration comme une exposition, des visites guidées thématiques, etc. En réalité, nous avons déjà commencé notre travail de sensibilisation avec un colloque, une exposition et une publication sur le thème des espaces ouverts, dans le cadre de l’Année du Jardin 2016 – Espaces de rencontres.

Sur les 20 sites choisis le long du parcours (les découvrir ici), avez-vous un coup de cœur?

Chaque site offre un thème intéressant à traiter, mais je dirais que si je devais en choisir un, ce serait le passage souterrain ouest de Saint-François amené à devenir obsolète avec la fermeture du Grand-Pont au trafic automobile. L’idée de transformer cet endroit peu attractif en un jardin souterrain me plaît beaucoup. On se trouve là au cœur de la thématique du sol au sens de sa profondeur, même si on est très loin de la fertilité de la pleine terre !

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